Chemins de Sagesse et de Traverse

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Le blog de Marc Alpozzo


Nietzsche et l'allègresse

Publié par Marc Alpozzo sur 15 Mai 2013, 21:01pm

Catégories : #Philosophie

Nietzsche et l'allègresse

Comment assumer notre condition d'homme ? Comment vivre dans ce monde si nous n'y sommes pas bien ? Ce problème est bien celui de Nietzsche. La philosophie aide-t-elle à mieux nous comprendre ? Mieux comprendre le lieu dans lequel nous avons été jetés ? La théorie, la dialectique, la rationalité sont-elles des outils conceptuels efficaces pour décrypter le réel, et guérir l'homme de la maladie de la vie ? Sa réponse est bien connue : les forces originaires de la Grèce, l’apollinien[1] et le dionysiaque[2] ayant fusionné et trouvé une synthèse harmonieuse dans la tragédie antique ne nous sont plus d’aucun secours depuis la mort de la tragédie grecque (cette catharsis de la représentation permettant à la vie d’être acceptée dans son entière absurdité), moment où s’amorce la naissance de la philosophie grecque rationnelle incarnée avant tout par la figure historique qu’est Socrate, père de la rationalité et de la dialectique, homme par qui, selon Nietzsche, la recherche du sens, sens de la vie par exemple, devient pour toute l’humanité un devoir absolu.


Ainsi accuse-t-il Socrate de condamner la vie au nom de valeurs supérieures.


Combattre la rationalité et la dialectique : c’est possible selon Nietzsche. Faut-il seulement s’enquérir de deux outils d’expression majeurs : l’aphorisme et la poésie. Une nouvelle manière de penser qui marque le renversement de la méthode traditionnelle. Cesser de penser en philosophe. Penser en artiste. En poète. Il s’agit surtout d’en finir avec cet idéal de la connaissance, cette recherche « vaine » du vrai auxquels Nietzsche veut substituer l’interprétation et l’évaluation. Penser par l’aphorisme qui est à la fois l’art d’interpréter et la chose à interpréter, penser par le poème, qui est à la fois l’art d’évaluer et la chose à évaluer[3].


Nietzsche n’adhère pas aux raisons de la philosophie, il refuse de lui donner son assentiment. Il oppose à la dialectique de Socrate le surhomme. Il refuse cette dévalorisation de la vie au nom de valeurs qui ne sont que valeurs de néant. L’adaptation, l’évolution, le progrès, le bonheur[4] pour tous, le bien de la communauté, autant de valeurs nouvelles qu’on nous propose à la place des valeurs supérieures[5]. Pour penser l’Homme-Dieu, l’homme moral, l’homme social, Nietzsche se fait le penseur de « la mort de Dieu ». Cette vision d’un monde sans horizon, sans espoir, sans haut ni bas, et qui commence progressivement à chavirer. Quoi de plus en phase avec notre époque contemporaine dans laquelle désacralisation et désenchantement sont les maîtres-mot, dans laquelle les effets pervers de la démocratie ont réduit toutes les têtes à se placer sur le même plan, sans en laisser aucune dépasser, dans laquelle tout vaut tout, et par ricochet, rien ne vaut plus rien, dans laquelle l’horizon qui autrefois portait l’espoir pour l’humanité entière de viser une grandeur humaine grâce à l’art, la philosophie et la religion, laisse place au désespoir, car il n’existe plus aucune grandeur possible.[6]


En se substituant à Dieu, l’homme s’est pris à son propre piège : il demeure abandonné à son angoisse. Par cette mort symbolique, plus de référence possible, plus le moindre réconfort : où trouver des explications à sa douleur ? Comment redonner du sens à la vie ? Ce sentiment de vide ne fait que précéder celle des grandes utopies qui nous inscrivaient dans une action collective de recherche du sens. On ne trouve plus de lieu à présent pour s’exprimer collectivement, puisque qu’avec la mort de Dieu cette question majeure du sens de la vie, entérinée par Socrate, devient une question « vaine », sans aucune autre méthode de rechange pour nous soigner.


L’homme n’a plus le choix : il doit compter sur lui-même, il n’a plus aucune espérance justifiée non plus, et doit maintenir, seul, en lui-même, la volonté de puissance. N’avoir plus le choix pour l’homme signifie devoir s’attacher à sa seule ressource pour survivre à la mort de Dieu, à sa seule sa volonté de puissance que l’on peut interpréter comme une volonté pouvant, à travers la victoire de l’homme sur lui-même, apporter une joie à celui qui sait reconnaître et admettre la nécessité.


Ce problème du thème du dépassement de soi implique alors l’expérience fondamentale du devenir. Dans notre vie, tout est à la fois devenir et permanence. Il s’agit dès lors de concilier le paradoxe qui lie devenir et immobilité éternelle. C’est la fameuse opposition antique entre la thèse de Parménide[7] et celle de Héraclite[8]. Mais Nietzsche parvient à dépasser la contradiction grâce à l’intuition de l’éternel retour qu’il présente comme le « poids le plus lourd »[9]. Il suffit d’écouter ses propres mots : « Cette vie […] tu devras la vivre encore une fois et d’innombrables fois […]. L’éternel sablier de l’existence ne cesse d’être renversé à nouveau – et toi avec lui, ô grain de poussière de la poussière ! »[10]. Une expression complexe qui ne traduit pas l’idée d’une répétition à l’identique des faits ou des événements mais au contraire, l’existence d’un mouvement « cyclique » du processus historique. L’éternel retour est ce retour de ce qui est affirmé. Il est sélection. Sélection de ce qui peut être affirmé. De la forme supérieure de ce qui est. Il s’agit donc pour Nietzsche de dénoncer le ressentiment, la mauvaise conscience, la puissance du négatif. Il faut rejeter « l’esprit de pesanteur » caractérisé par cette fidélité abjecte aux règles de conduite rigides, à cette prétention ignoble au savoir. Combattre ceux qui sont incapables de remettre quoi que ce soit en question, considérant comme ultime vérité tout ce en quoi ils croient, assimilant idiotement leur vérité à une possession. Nietzsche nous dit : ne vous alourdissez pas spirituellement de ces prétendues propriétés. Il ne faut rien posséder. Il faut voyager sans bagages, et vaincre par sa légèreté tout ce qui voudrait asservir l’esprit et la liberté.


Rejeter l’esprit de pesanteur ! Nietzsche nous y invite en nous conseillant la danse[11], le rire[12] et le jeu[13].


Cet article est paru dans Les carnets de la philospophie n°1, sept-oct-nov 2007.

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